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Chapitre VI : la naissance du Sabre :


K) YAKIIRE : la trempe ou " durcir le tranchant " .

Principe de base :
Le processus consistant à chauffer une lame jusqu'à ce qu'elle soit rougie et puis à la plonger dans un baquet d'eau est surement le moment le plus critique de la vie d'un forgeron .
Dans l'imagerie populaire , la lame incandescente , la sombre forge , le flot de vapeur chuintante , toutes ses caractéristiques font de la trempe une entreprise profondément mystique , dans laquelle la structure métallique du sabre lui-même se métamorphose , aboutissant à la naissance d' une lame .
La réalité pratique , comme c'est si souvent le cas , est légèrement différente .
YAKIIRE représente le travail d'un seul jour pourtant il arrive souvent que tout ce travail soit ruiné , la lame devant être retravaillée ou carrément jetée si cette action est un échec . Elle est réalisée la nuit , toutes lumières éteintes , le forgeron devant pouvoir apprécier la vraie couleur de la lame chauffée pour en déterminer la température idoine .
Le conte qui fait croire que la trempe à l'effet bénéfique d'une source chaude de montagne pour la lame , est propre à l'imaginaire des gens , et les forgerons avec leurs " recettes de fabrication magiques , personnelles et secrètes " contribuent à cette croyance . Il est indéniable que YAKIIRE demande un talent et une habileté considérables , ainsi qu' une connaissance parfaite et même une " connivence " avec les éléments utilisés .
Ce forgeron et ses collègues ne produisent pas en masse des lames confectionnées avec des aciers industrialisés . Chaque bloc de métal qu'il manipule possède ses propres caractéristiques , certaines qu'il peut maîtriser, d'autres auxquelles il doit simplement s'adapter . Il juge la température de la lame entièrement à l'oeil et il ne doit pas hésiter pour choisir le moment exact où il la plongera dans le baquet d'eau .
La stricte attention à laquelle succède une action rapide et sans compromis , c'est cela la garantie de nombreux forgerons japonais .
A ce stade , il est nécessaire d'effectuer une mise au point .
Nombreux sont les écrivains , spécialement les occidentaux , qui qualifie le HAMON de ligne de trempe .Techniquement , cet usage est incorrect . Il serait plus honnête de dire que la lame est traitée à chaud pour durcir le tranchant .
La trempe est ce qui est réalisé après le durcissement pour rendre l'acier moins fragile .

Réalisation de la trempe :

Le forgeron démarre l'opération avec du cubes de charbon de bois de la taille d'un sucre pour produire un feu chaud et durable afin de prévenir les dommages physiques que le manteau d'argile pourrait causer au HAMON .
Il entoure une barre d'acier d'un chiffon , coince la poignée de la lame dans une pièce métallique en U , soutenant celle-ci d'une main avec la barre d'acier , il dessine sur le sabre , très lentement à travers l'argile chaude en pompant les soufflets fermement de l'autre main .
Tout ce temps , le forgeron tient la lame tranchant vers le haut . Au plus elle chauffe , au plus elle rougeoie ;
le KAJI la plonge alors dans le feu 10 à 15 fois , laissant l'argile se diluer jusqu'à ce qu'il puisse distinguer la couleur de la lame . Quand c'est assez chaud , au moins 700°C , entre rouge clair et orange, le forgeron retourne la lame et la remet dans la forge de nouveau, cette fois tranchant vers le bas .
Après plusieurs autres passages, jusqu'à ce que la lame soit entièrement et uniformément colorée , le tranchant rouge clair-orangé sera chauffé à une température supérieure à celle du dos (rouge à rouge-clair), puis notre forgeron plongera cette lame rougeoyante et incandescente dans le baquet d'eau fraiche ( cf magnifique illustration 1 ) .

Aucun forgeron ne pratique la trempe de la même manière . Les KAJI de SOSHU DEN par exemple , mixaient un fer de lance blanc pour produire des effets tachetés, mouchetés sur leur lame finale . ILs patientaient également pour que la lame atteigne de très hautes température de chauffe avant de la plonger .

Apprivoiser les effets :

La méthode de notre forgeron est intéressante parce qu'elle produit des UTSURI . UTSURI veut dire " reflet " , c'est un effet blanchâtre , au dessus et le long du HAMON .
Les forgerons BIZEN étaient renommés pour cet effet mais cette technique a été " perdue " durant la période EDO .
Comme souvent l'effet UTSURI semble suivre ce qui se passe dans le HAMON , les connaisseurs de la période EDO l'avaient ainsi surnommé " le second HAMON " . Ce qui est absolument faux techniquement parlant , tout simplement parce qu'il ne contient pas de martensite .
l' UTSURI est justement le reflet de la grande habileté du forgeron . Car cet effet ne survient que dans des cas très particuliers de températures et de composition du métal .
Notre KAJI dut expérimenter pendant 3 ans pour parvenir à recréer cet effet que d'ailleurs quelques autres forgerons modernes éxécutent également parfaitement .
Pour y parvenir , le forgeron doit chauffer la lame uniformément suivant trois bandes longitudinales .
Le tranchant est chauffé à 800 °C environ , le dos à 700-720°C , les côtés où se trouvent les UTSURI , à 750-760°C , car à cette température , l'acier est dans une phase transitoire entre austénite et pearlite .
C'est sans doute parce que l'effet UTSURI est apparenté à une complexe microstructure de ferrite et de pearlite qu 'on
l' obtient dans cette zone .
Le non-respect de ces données offrant une étroite marge de manoeuvre , on peut produire un HAMON irrégulier avec ou sans UTSURI ( cf illustration 2 ) .

La température ainsi que la structure de l'acier produisent aussi d'autres effets . Nous avons vu précédemment que le forgeron peut combiner des blocs d'acier de teneur en carbone variée durant la forge .
Les couches à haute teneur en carbone produisent plus d'acier martensite après la trempe , et ces effets seront révélés au polissage , ce seront des KINSUJI ou des INAZUMA . SI cette distribution de teneur en carbone est plus hétérogène le long de la lame , la trempe produira des grains d'acier brillants , NIE , ARANIE , KONIE, NIOI ou SUNAGASHI , tous des points de martensite mais avec des noms différents en fonction de leur taille , de leur localisation de leur aspect .
Plus la lame est chauffée sur la longueur , plus la taille des grains d'austénite formée est large , ainsi la taille de la zone cristalline en martensite restant sur la lame finale est également plus large .
Le NIE par exemple, apparait sous la forme de discrets mais visibles points ; cela se produit lorsque les grains d'austénite se développent de façon suffisamment large .
Le NIOI , tantôt décrit comme de la neige, ou une brume blanchâtre , est produit à des températures basses mais traduit une lame plus stable et plus résistante dans le temps .
Les hautes températures utilisées pour le NIE peuvent nuire à une lame fragile et causer des dommages irréparables .
Le HABUCHI , la ligne blanchâtre limitant le HAMON (cf illustration 3 ), est en réalité constituée de NIE , KONIE ou NIOI.
Un HAMON d'un certain type bien sur, peut toujours être produit en chauffant la gangue d'argile de la lame à une température suffisamment élevée . Par contre , un HAMON réalisé sans porter d'attention particulière à ces détails , peut estomper ces lignes et il en découlera un motif insignifiant .
Quelquefois , on voit des sabres présentant des textures non uniformes dans le HAMON , et sur toute la longueur de la lame , ou bien sur lesquels , les HAMON ne sont reconnaissables que partiellement grâce à certaines caractéristiques de l'acier .
Ceci est généralement le résultat de sections partielles de la lame plus chauffées que d'autres lors de la trempe , ou si la température de l'eau du trempage n'est pas assez élevée , normalement 40 °C pour notre KAJI . La chaleur de l'eau ralentit en général le refroidissement, et dans ce cas inverse affaiblit ainsi le HAMON ( cf illustration 3 ) .

Finition du YAKIIRE :

Après YAKIIRE , le forgeron précipite la lame dans le charbon pour la réchauffer à 160 °C en la trempant de nouveau .
cette " retrempe " s'appelle YAKI-MODOSHI , et aide à soulager le " stress " du tranchant , en décomposant partiellement les larges cristaux de martensite de l'acier nouvellement formé . Elle réhausse aussi les effets du polissage à la pierre que subit la lame ultérieurement . La trempe peut-être répétée plusieurs fois , mais dans ce cas , il faut être très attentif, car si la lame est réchauffée à une trop haute température , une partie du HAMON peut se fâner voire disparaître .
C'est ce qui arrive aux lames qui ont été victimes d'un incendie . L'acier est intact , mais le HAMON est détruit .
Après la dernière trempe , une nouvelle étape démarre . A l'aide d'une rugueuse meule à eau , le KAJI ote tout l'argile et nettoie la lame . Il peut , à ce stade, rendre visible le HAMON pour inspection , à l'aide d'une solution à 2% d'acide nitrique.
Si la lame avant le bain était trop chaude , des craquelures dans l'acier ou dans le HAMON ont pu apparaître et ils seront alors de pauvre qualité . Si la température était trop froide , le HAMON peut carrément être absent , ce qui implique que le processus de durcissement du tranchant a échoué . Le HAMON pourrait également être trouble et peu clair , dans ce cas on le nomme " HAMON dormant ".
Disons que tout s'est passé comme convenu, le HAMON est clair et brillant , avec un motif distinct et précis conforme au plan de la veille du forgeron avant qu'il n'applique le manteau d'argile sur la lame .
Si notre KAJI , n'est pas satisfait du HAMON , il peut chauffer au rouge de nouveau la lame et la laisser refroidir lentement en plein air d'elle-même . Cela restaure la lame dans son état initial de structure en pearlite . Le forgeron peut alors renouveler l'opération depuis l'étalage du YAKIBATSUCHI , puis la chauffe et enfin YAKIIRE .
Une lame même bien faite peut très bien avoir du supporter 3 à 5 fois cette opération .
En général , l'habileté reconnue d'un forgeron correspond à un taux de succès maximum , 75 % au moins , dans cette phase délicate . Mais le taux d'un forgeron moyen est surement proche d'une lame sur deux quelquefois moins .

A suivre......

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